Bouze de là !
 
 
Le CNPF s’appelle désormais MEDEF. L’objectif, lui, n’a pas changé : la régression sociale.

 

De la promotion spectaculaire de l’entrepreneur, Bernard Tapie s’était fait le héraut avec son émission Ambitions (1986-1987). Douze ans plus tard, le baron Ernest-Antoine Seillière de Laborde, président du nouveau MEDEF (Mouvement des entreprises de France, ex-CNPF), reprend le flambeau. Héritier de la famille de Wendel, il illustre le changement de l’identité patronale intervenu depuis les années 50. À la tête de la sidérurgie lorraine, ses ancêtres étaient paternalistes et propriétaires de leurs usines. Au plus fort de la crise, ils quittèrent le navire sidérurgique avant qu’il ne coule et investirent dans d’autres activités. Seillière est désormais PDG d’une holding (la CGIP) dont le capital est fragmenté entre une kyrielle d’actionnaires. Manager libéral, il est à mille lieues du protectionnisme de ses aïeux.
Le 27 octobre 1998, il rebaptisait le vieux CNPF et dotait la nouvelle organisation d’un ridicule logo tricéphale. À l’origine de ce ravalement de façade se trouve la loi sur les 35 heures, dont l’annonce en octobre 1997 avait entraîné le départ du  président du CNPF en fonction, Jean Gandois. Vaine agitation : largement financées par l’Etat, prétextes à la légalisation de la flexibilité et à la réduction des effectifs, les 35 heures profitent aux patrons plus qu’elles ne leur nuisent 1. Mais c’est ici une tradition : les mouvements patronaux naissent de la peur et se meuvent par réaction. La puissante Union des industries métallurgiques et minières (UIMM) fut ainsi créée en 1901 pour s’opposer au succès des mouvements ouvriers. Constituée en 1919, la Confédération générale de la production française (CGPF) entendait contrecarrer la politique dirigiste héritée de la guerre. Fondé en 1936, le Comité des PME se cabrait contre les accords de Matignon et catalysait l’aigreur des industriels. Le CNPF, Conseil national du patronat français, naquit en 1946. Pour des patrons disqualifiés par la collaboration, il s’agissait de préserver des intérêts menacés par les nationalisations et la présence communiste au gouvernement. Simple agence de lobbying jusqu’à la claque de Mai 68, le CNPF s’opposa à toutes les avancées sociales. La mise en place du Smig en 1950 provoqua sa fureur. Devant le fait accompli, les hiérarques de la confédération en calculèrent au plus près le montant, puis s’émerveillèrent de leur générosité : ils avaient accordé aux ouvriers 380 calories de plus que le minimum vital fixé par les Nations-Unies 2. À ce pesant héritage, le président du MEDEF n’a naturellement pas fait allusion lors de son discours inaugural.

Le Président Seillière a dit…
Juché sur une scène bardée de slogans «En avant l’entreprise !», MC Ernest-Antoine rappelle les exigences du petit monde des décideurs : «c’est à nous les entrepreneurs de rappeler la société française à la réalité et de montrer la voie de l’adaptation qui conduira à la réussite» 3. La «voie de l’adaptation», c’est d’abord la liquidation d’«un secteur public arthritique» ; c’est aussi la baisse des charges sociales, des impôts, la suppression des allocs et du RMI en cas de refus répété d’un emploi ; c’est enfin «plus de liberté», ce qu’il faut traduire par “plus de liberté pour l’entreprise”.
Impitoyable avec l’État («immobile, statufié, pétrifié») duquel Elle exige «l’éradication de ses déficits […] par la diminution de la dépense publique», Sa Seigneurie sait se montrer bonne envers le menu peuple : «proposons, sans plus tarder, aux chômeurs de longue durée de garder pendant trois ans tout ou partie de leurs allocations, cependant que les employeurs compléteraient leur rémunération à hauteur du Smic, dès lors qu’il y aurait création d’un nouvel emploi». Formidable invention : travaillant au profit d’un patron, le salarié serait rémunéré par les Assedic.
Au cours de ses récents meetings, Ernest-Antoine Ier a également su justifier son poste de directeur de la commission communication du MEDEF. «500 pages de Code du Travail, c’est 500 000 chômeurs ; 3 000 pages de Code du Travail, c’est 3 millions de chômeurs !»4tonnait-t-il récemment à Toulon, oubliant au passage de dédicacer à César les astuces démagogiques qui firent sa fortune.

Allègre et Cohn-Bendit, nègres de Seillière ?
Comme tous les vieux, Seillière se soucie beaucoup du sort des “jeunes”. «Le message des lycéens, nous l’avons aussi entendu» assure-t-il. Dans ces cerveaux ductiles, il faut inscrire au plus tôt les règles de la compétition, le comportement docile du cadre ou l’esprit conquérant du manager. Pour réaliser son rêve, il dispose aujourd’hui d’au moins deux alliés étiquetés à gauche : Daniel Cohn-Bendit et Claude Allègre. Dans son livre programme, le premier préconise l’établissement «de véritables joint-ventures avec les entreprises. Naturellement, l’industrie participerait aussi à la définition des contenus de l’enseignement»5. Claude “Dégraissman” Allègre, ministre de l’Éducation, est lui aussi bien disposé à l’égard des patrons : «mon objectif est d’instiller cet esprit d’entreprise et d’innovation qui fait défaut à notre système éducatif»6. Le discours de Seillière sur l’éducation synthétise leurs deux positions : «La mobilisation doit être générale pour que le monde l’éducation et celui de l’entreprise se rapprochent et se comprennent. [...] Nous proposons de travailler à la rénovation des processus éducatifs en favorisant à l’école, au collège, à l’université, le goût d’entreprendre [...]».
Universaliser ses intérêts particuliers, le patronat y travaillait depuis des lustres. Ironie de l’Histoire, la gauche plurielle est en passe de concrétiser ce projet.

Vladimir Moll




1 Comme le montre l’accord de branche signé cet été dans la métallurgie.  (retour)
2 D’après Henri Weber (ancien dirigeant des JCR devenu sénateur PS tendance fabiusienne) Le Parti des patrons, Seuil, 1986, p. 115.. (retour)
3 Allocution d’Ernest-Antoine Seillière à Strasbourg, le 27 octobre 1998, document MEDEF. Sauf indication contraire, les citations suivantes proviennent de ce texte..(retour)
4 Propos de Seillière tenus à Toulon le 14 01 99, cités par Le nouvel Obs, 21 / 01. (retour)
5 Une envie de politique, La Découverte / Le Monde, 1998, p. 175. Voir VF n° 20. (retour)
6 Cité par Marianne, 11 janvier 1999. (retour)



 
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