Dans une belle confusion réglementaire, les Organismes Génétiquement Modifiés colonisent progressivement nos assiettes. Et si la résistance commençait dans les cantines ?

Si les biotechnologies sont censées suggérer un futur radieux et d’abondance, la législation européenne sur l'étiquetage des OGM évoque plutôt une passoire trouée. Ainsi, le règlement 25/8/97 entré en vigueur le 15 mai 1997 prévoit l'étiquetage des produits qui sont des OGM ou qui en contiennent, mais pas de ceux «issus d'OGM et n'en contenant plus». Par exemple, une huile obtenue à partir d'OGM et dont l'ADN se trouve éliminé par le processus de fabrication ne sera ni évaluée, ni étiquetée. Pas plus que tous les aliments transgéniques «substantiellement équivalents» (composition, valeur nutritionnelle, usage) aux produits classiques. Quant aux additifs, agents de saveur et autres adjuvants (enzymes...), ils sont exclus d'un étiquetage uniquement destiné à informer sur la composition finale des produits et non sur le procédé de production. Un bœuf pourra être nourri au maïs transgénique, on n'en saura rien. Enfin, compte tenu des méthodes de détection retenues (fragments d'ADN et protéines modifiés), Steve Emmot du groupe des Verts au Parlement européen estime que plus de 60 % des aliments contenant des ingrédients issus du génie génétique échapperont à l'étiquetage1À croire que l'on redoute l'effet de la mention «génétiquement modifié» sur le consommateur. Bizarre pour des produits réputés inoffensifs 2.

Quand les produits sont bons, ça peut pas faire de mal
C'est qu'il s'agit d'un marché conséquent : 35 millions d'hectares cultivés dans le monde pour quelques centaines de millions de dollars. Et que les principaux acteurs en sont des firmes assez balèzes : Monsanto, Pionner, Agrevo, Novartis ou Zeneca se portent bien, merci3. Les milliards qu'ils ont mobilisés exigent un retour sur investissement rapide, aussi les Européens seraient-ils mal inspirés de chipoter sur les étiquettes. Leurs pressions, tout comme celles des États-Unis ou de lobbies comme l’Association Générale des Producteurs de Maïs, ne sont certainement pas pour rien dans les les choix réglementaires. Ainsi, l’AGPM met en vedette «Kamana le maïs doux», «l’ami des enfants», dans une bédé vantant le maïs transgénique. Tout ceci concourt à réunir les conditions de l’implantation des OGM et donc à accentuer le productivisme et l’intégration de l’agriculture à l’oligopôle bio-chimique. Or, cette implantation serait plus irréversible qu’avec le nucléaire : les animaux et les plantes n’ont guère de complexes sur leur reproduction...

Consommateurs captifs et paysans otages
Mais l'Europe n'est pas encore submergée par les OGM et il est encore temps d'agir. Notamment dans les lieux où l'on ne choisit pas ses aliments, comme dans la restauration collective. À Paris, par exemple, la FCPE a obtenu d’associer le voeu de refuser les produits “étiquetés” dans l'appel d'offre de la Caisse des écoles du XIème. Difficile de faire plus, puisque l'appel se fait à l'échelle européenne, sauf à recourir à la filière biologique. En effet, elle est la seule véritablement sans OGM et constitue une relative assurance contre la vache folle ou l'excès de nitrates. Et comme elle dispose d'un label européen, ça roule. Reste la question du surcoût par rapport aux autres filières. Sur un repas revenant à 40 f, payé 22 f par les parents, il n'y a que 8 f de denrées : mettons 20 % de différence ; 1,60 f de plus par repas. C'est peut-être jouable. En tout cas, cela fait un moment que le tour est joué au Resto-U de Lorient. Chaque jour, 150 à 200 repas 100 % bio sont servis, parallèlement aux menus classiques, pour les mêmes 14,50 f. Certes, les portions sont un peu moins grosses et un jour sur deux c'est végétarien, mais c'est complet et équilibré. À une échelle plus réduite, les cas de partenariat “producteur-consommateur” entre municipalités, écoles et paysans se multiplient, notamment en Alsace ou dans la Drôme. Les Verts et les Alternatifs aussi s'engagent dans de telles actions. En revanche, la restauration hospitalière semble moins mobiliser. Dommage, car par ce biais on s'attaque à l'offensive OGM sur au moins deux terrains : la santé publique (revendication d'une détection, d'une traçabilité et d'un étiquetage fiables, sinon de l’interdiction des OGM) et un modèle d’agriculture durable. Développer les agricultures paysannes4et biologique, directement menacées par les OGM (dissémination, mélange des lots...), c'est toujours ça que les gros céréaliers gavés de subventions n’auront pas. Même si cela laisse de côté la question du brevetage du vivant. Mais c'est là un tout autre problème, non ?
 

Dr. No




1  Steve Emmot, “Une réglementation passoire”, Le Courrier de la Planète, juillet-août 1998. (retour)
2  Pierre Courvalin, “Plantes transgéniques et antibiotiques”, La Recherche, mai 1998 ; Joëlle Vailly, “OGM : la boîte de Pandore” , Rouge et Vert 25/09/98 et Emile Ronchon, “OGM : tais-toi et mange !”, Rouge & Vert Paris Sud n°1. (retour)
3  Pierre-Benoît Joly, “Firmes : la naissance d'un cartel ?”, Le Courrier de la Planète et “Quelles sont les stratégies des firmes industrielles sur le marché des OGM ?”, Les OGM à l'INRA, Paris, 1998. (retour)
4  Voir Campagnes solidaires mensuel de la Confédération Paysanne. (retour)



 
 












Après les baleiniers et les nucléocrates, Greenpeace a décidé de faire chier l'industrie agro-alimentaire.

Pour se faire entendre des multinationales, le plus simple est d'appuyer là où ça chatouille : l'image de marque et le chiffre d'affaire. C'est le constat qui a conduit Greenpeace France à monter son «Réseau info-conso OGM» et ses trois listes1 susceptibles de faire frémir les géants de l'agro-alimentaire : la «liste blanche» concerne «les produits pour lesquels les fabricants garantissent l'absence d'OGM (soumis ou non à la loi sur l'étiquetage)», la «liste grise» ceux dont «les fabricants ne peuvent garantir formellement l'absence d'OGM» et la redoutable «liste noire» ceux «susceptibles de contenir des OGM ou dont les fabricants ne s'opposent pas à la présence d'OGM (soumis ou non à la loi sur l’étiquetage)». «L'objectif principal, c'est plus du tout de nourriture avec OGM», précise Ruth Baenziger, responsable du Réseau. Mais c'est aussi, dans l'immédiat, «faciliter l'approvisionnement dans les filières sans OGM et faire pression sur les fabricants pour qu'ils se prononcent sur les OGM». De ce côté, difficile de s'en remettre à l'étiquetage légal, véritable passoire à lécithine de soja...

Mon Dany est-il transgénique ?
Comme l'appel au boycott est illégal en France, Greenpeace table sur la diffusion des listes et l'incitation à harceler les firmes (Nestlé, Unilever, Danone...) plutôt que les semenciers. Le consommateur devrait plus se motiver pour modifier ses achats courants. Ceinture sur le Galak et les Dany au chocolat mais, et c'est appréciable, Greenpeace, «essaye le plus possible de trouver des produits à coût équivalent et qu'on puisse trouver dans les grandes surfaces». Cela dit, la «liste blanche» n'est pas encore squattée par Leader Price. Dommage, car «un des objectifs est d'avoir des filières sans OGM qui ne soient pas plus chères. Il n'y a aucune raison de payer plus cher quelque chose qu'on avait avant et qui était sûr, à cause de technologies très coûteuses et qu'on nous impose». En Allemagne, l'équivalent du Réseau rassemble déjà 200 000 à 300 000 personnes, le Luxembourg et l'Autriche résistent toujours aux OGM... Le Maccarthysme alimentaire à de beaux jours devant lui.

Dr. No


1.  Dressées à partir des réponses écrites des fabricants.

Greenpeace France : 21, rue Godot de Mauroy 75009 Paris.
 

La Confédération Paysanne lutte contre le productivisme. Quand les semenciers et la justice s'en mêlent, elle brandit sa fourche.

Le 8 janvier 1998, trois militants de la Conf’ comparaissaient devant le tribunal d'Agen pour d'inqualifiables actes de sabotage : la neutralisation de semences de maïs Novartis à coups de lance à incendie, à Nérac. Depuis qu'elle a transformé l'audience en procès des OGM, occasionnant le premier débat sur le fond de l'affaire, la Conf' ne se démobilise pas. Avec les premiers ensemencements en variétés modifiées, on a vu ses militants envahir Auchan à La Défense et dénoncer avec Greenpeace le non-étiquetage d'aliments contenant des OGM ; on voit fleurir des panneaux «Pas d'OGM dans ce champ» ; on verra des paysans s'inviter sur les parcelles mises en OGM...

À la Monsanto, surveille tes silos
Forcément, ça fait tache dans le débat policé entre experts dévoués au génie génétique. Lorsque la Conférence de consensus (juin 98) tourne à la mascarade et que Jean-Yves Ledéaut, président de l'OPECST1désavoue ses timides réserves, la Conf’ souligne l'indigence des protocoles de «biovigilance» et des études sur les risques autres qu'environnementaux (allergiques, toxicologiques). Pour René Riesel, secrétaire national, un des “trois de Nérac”, «la recherche publique devrait avoir un rôle de contre-expertise systématique, or, avec la généralisation des joint-ventures etc., il n’y a pas un chercheur qui puisse se dire indépendant aujourd’hui». Dans ces conditions, difficile de rappeler que  la solution à la faim dans le monde, ce ne sont pas les OGM, mais bien «une autre répartition des richesses». Qu’ils «ne volent qu’au secours de l’agriculture productiviste : les pratiques respectueuses de l’environnement n’en ont pas besoin». Le cas du maïs résistant à la pyrale est exemplaire : ce ravageur détruit 7 % de la production française, mais c’est bien la monoculture intensive, l’abus de désherbants... qui accentue son développement. «Si on cherchait des rendements plus raisonnables, on gagnerait doublement : on utiliserait moins de pesticides et on n’aurait pas “besoin” d’OGM pour limiter le recours aux pesticides». Ce qui ne serait pas une mauvaise idée, vu le nombre de morts par empoisonnement chez les paysans...

À la Novartis, gare à la tremblante du maïs
Si les agriculteurs sont à ce point engagés dans l’ultra-productivisme, c’est que la Politique Agricole Commune continue à pousser à la production et à la soutenir artificiellement sur les cours internationaux. Tant pis pour les pays du Sud. Certes, la loi d’orientation agricole et la réforme de la PAC sont censées aller vers «plus d’environnement et plus d’emplois agricoles». Mais l’encouragement des OGM et la volonté de maintenir les exportations montrent jusqu’où l’État et l’UE sont prêts à aller... En attendant, la Conf’ prépare son offensive anti OGM de printemps, notamment en direction des parcelles mises en OGM ou destinées aux expérimentations en grandeur réelle. Entre les gros bras de la FNSEA et le quasi “secret défense” qui entoure la localisation des champs incriminés2les obstacles sont nombreux. Cela ne devrait pas empêcher la Conf’ de se battre pour «un moratoire sur chaque OGM, aussi long qu’il le faudra, pour vérifier qu’ils ne présentent pas de risque environnemental, allergique, toxicologique... et qu’ils ont bien une “utilité sociale”». Pour une fois que des paysans proposent une alternative à l’immolation de pneus et au déversement de lisier sur la voie publique, c’est plutôt une bonne nouvelle.

Dr. No


1 Office Parlementaire d'Évaluation des Choix Scientifiques et Technologiques. (retour)
2 Comme pour le nucléaire, le gouvernement est plus que complice : «la localisation des parcelles sera communiquée à l‘État français sous le sceau de la confidentialité », a déclaré Philippe Gay (Novartis), à René Riesel... (retour)


 

L’image du titre a été chourée sur le site ouaibe de Monsanto.
 

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