Le 6 décembre 1998, Hugo Chávez Frías était élu président de la République du Venezuela. La presse française avait tranché : encore une victoire du populisme
 

«Hugo Chávez, la lame de fond populiste. L'ex-putschiste est favori à la présidentielle vénézuélienne», titrait Libération le samedi 5 décembre 98. Volontiers comparé à Alberto Fujimori et à Carlos Menem, Chávez constituerait un danger pour la démocratie. Même si le personnage est effectivement ambigu, le quotidien nourrissait là un lieu commun de la politique latino-américaine, le militaro-populisme, et passait sous silence des évolutions politiques de fond. En l'occurrence, la percée nationale et régionale d'un pôle de gauche au détriment des deux partis traditionnels : Acción Democrática (AD, socio-démocrates devenus socio-libéraux) et le Comité pour l’organisation populaire électorale indépendante (COPEI, démocrates-chrétiens).

Ni Pinochet, ni Guevara : Chávez
C'est vrai, Chávez réunit tous les ingrédients du parfait connard (hijo de puta, comme on dit là-bas). Militaire, ancien putschiste, il a, en février 1992, tenté de renverser un gouvernement certes démocratique mais entièrement dévoué au FMI. Ce coup de force manqué relayait une vague de contestation qui avait commencé avec les émeutes de février 89, et dont la répression avait fait 2 000 morts parmi les civils. Démocratique, donc. L'ampleur de la secousse a permis de débloquer un système politique figé. En effet, depuis 40 ans, un “pacte” garantissait des alternances au pouvoir pour AD et le COPEI. Conclu pour éviter toute tentative dictatoriale, il a abouti à une répartition mafieuse du pouvoir. La relative popularité dont Chávez a bénéficié pour y avoir mis fin lui a ouvert, six ans plus tard, la voie de la présidence.
Si sur la forme, sa campagne évoque surtout un best-off des Grosses têtes, elle est sur le fond nettement orientée à gauche. Ainsi, la coalition qui le soutient actuellement compte un certain nombre d'infréquentables qui rêvent de mettre à mal les privilèges de l’élite au pouvoir. Chávez et ses alliés font peur. Le Movimiento Al Socialismo (MAS), parti fondé par d'anciens communistes ayant abandonné la lutte armée à la fin des années 60, est une formation social-démocrate actuellement dominée par son aile gauche. L’autre parti de la coalition, Patria Para Todos (PPT), n'a pas franchement bonne presse dans les beaux quartiers. Sa gestion municipale s'apparente au budget participatif 1instauré par le Parti des Travailleurs brésilien à Porto Allegre. En fevrier 1992, il a appuyé le soulèvement chaviste dont il approuvait la dimension “sociale”. N'en déplaise à ceux qui voient la dictature se profiler à l'horizon, il s'agit de tout sauf d'affreux autoritaristes. Même le mythique Douglas Bravo 2, devenu selon ses propres mots un “guérillero de l'écologie”, n'a pas hésité à apporter son soutien à la coalition. Déjà, des commissions planchent sur un arrêt des politiques de concessions actuellement en vigueur, notamment dans le secteur minier. Soucieux de se procurer des recettes fiscales à court terme, les gouvernements précédents cédaient des pans entiers de forêt à des multinationales, tel le canadien Monarch, à la recherche d'or dans la Guyane vénézuélienne. 

Quand les partis politiques vont, tout va !
La presse française a également insisté sur l'inquiétante situation des deux partis politiques traditionnels qui ont ramassé la gamelle de leur vie aux présidentielles. Cette “disparition” de la scène politique,  d'ailleurs toute relative 3ferait courir un danger à la démocratie vénézuélienne. Mais voyons comment ces démocrates patentés ont abordé les élections.

 

Un an avant les élections, le COPEI est aux anges. Promue candidate de ce parti, Irene Sáez, la très populaire (ex) Miss Univers, se lance à l'assaut de la présidence. Au fil des meetings, la reine de beauté doit s’exprimer. Elle entame alors une lente descente dans les sondages et plafonne, à une semaine du scrutin... à 3 % des intentions de vote. Solution : l'état-major démo-chrétien renvoie Blanche-Neige dans son château trois jours avant les élections. Côté Acción Democrática, pas de souci. Faute de candidat valable, on envoie au casse-pipe Luis Afaro Ucero, secrétaire général du parti et vieil apparatchik, histoire de perdre honorablement face à Miss Univers et de conclure une alliance parlementaire pour gouverner avec les démo-chrétiens. Mais papi ne fait pas rêver : il culmine à 1,5 % d’intentions de vote. Et les vieux, c'est connu, c’est hargneux et ça s'accroche à son investiture. Qu'à cela ne tienne : dans la semaine qui précède le scrutin, AD exclut ce candidat têtu. Sommet du ridicule, les deux partis se rallient à la candidature d'Enrique Salas Römer. En bon propriétaire terrien, ce dissident de la démocratie chrétienne et seul vrai concurrent de Chávez avait fait sa campagne à cheval, la tête ornée d'un chapeau. À cette date, le tarjetón, sorte de grand bulletin de vote où figurent les noms et les photos de tous les candidats, est déjà imprimé. Pas grave. On s'arrange avec l'autorité électorale et on explique : «si tu coches Miss Univers ou candidat exclu de son parti, ça vaut pour monsieur sur cheval avec chapeau».

Chapeau marron et béret rouge
Cette conjoncture tout à fait inédite est l'occasion d’opérer des changements structurels dans la société vénézuélienne. D’autant qu’il n’est guère besoin de faire la Révolution pour opérer une révolution là où 80% de la population vit sous le seuil de pauvreté. De plus, sachant que le Venezuela est le premier fournisseur de pétrole des États-Unis, on devine quelle serait la réaction de l'Oncle Sam face à un quelconque processus révolutionnaire en “bonne et due forme”. C'est un des éléments qui permettent de comprendre l’alliance baptisée Polo Patriotico 4, qui lie l’ancien militaire à la gauche vénézuélienne. Au niveau régional cette stratégie a priori hasardeuse a payé : car la formation du Polo Patriótico dirige 9 États 5sur les 22 que compte la Fédération. Gourmand, Chávez veut en ajouter un dixième. Désormais habitué du grand écart, il a récemment proposé l’appui de son parti à... Miss Univers, repartie pour un tour à l’occasion d’une prochaine régionale anticipée ! Certes, il faudra attendre le résultat du processus constitutionnel qui sera engagé dans le courant de l'année pour lever l'hypothèque d'une dérive autoritaire du régime. Mais, là encore, les comparaisons avec le Pérou de Fujimori ou l'Argentine de Menem paraissent un peu forcées. Si Fujimori a dû faire un autogolpe6pour imposer ses vues et si Menem a réformé la Constitution argentine à la hâte pour s'offrir un mandat supplémentaire, la réforme constitutionnelle de Chávez était, dès le départ, inscrite dans son programme. Mais certains clichés sont plus vendeurs que d'autres. En cas de victoire de son principal concurrent, Enrique Salas Römer, Libération aurait-il titré «Salas Römer, la lame de fond patronale. Le propriétaire terrien qui se balade sur un cheval avec un chapeau ridicule est favori à la présidentielle vénézuélienne» ? Il est permis d’en douter. Salas Römer, lui, ne fait peur à personne.

Aquilès


1  Voir VF nº 16. (retour)
2 Figure de la guérilla guévariste vénézuélienne, ayant déposé les armes en 1978. (retour)
3 Ils restent assez bien implantés localement et AD demeure 
le premier parti au Parlement. (retour)
4 Cartel électoral composé principalement du Movimiento V República (MVR) de Chávez, le MAS et le PPT. (retour)
5 Dont deux seulement pour le parti de Chávez. (retour)
6 Coup d'état institutionnel. (retour)

Le programme de Chávez version Reader’s Digest
- Élection d'une Constituante et ratification du projet de Constitution par référendum. Quelques dispositions importantes :
 * Possibilité d'une réélection présidentielle (mandat de 5 ans)
 * Procédure de rappel des élus, y compris le président...
 * Refonte du système judiciaire (non détaillé pour l’instant)
- Arrêt des concessions dans les secteurs pétrolier et minier
- Hausse du salaire minimum. Actuellement de 100.000 bolivars, environ 1000 F (les Vénézuéliens se foutent de savoir combien ça fait en euros), il augmenterait de 50%, soit à 1500 F.
- Réforme de la fiscalité
La fraude et la corruption dans les douanes coûtent 3 % du PIB (350 milliards de francs).
L'impôt sur le revenu, dont la tranche supérieure ne dépasse pas 14 %, fait l'objet d'une fraude généralisée. 
- Non-remboursement de la dette dans les termes actuels.
Le service de la dette externe ponctionne actuellement 40 % du budget de l'État.
Le Venezuela ayant souscrit un plan de réajustement structurel avec le FMI, une réunion bilatérale est prévue pour le mois de mars.















Les flics causent drogue en Birmanie, premier producteur d'héroïne du monde.
 

Interpol ne manque pas d'humour : organiser, les  23 et 24 février, sa quatrième conférence internationale sur l'héroïne à Rangoon, c'est un peu comme réunir une conférence sur les droits de la Femme à Kaboul. Non seulement la Birmanie est le premier producteur d'héroïne au monde, mais son armée est aussi notoirement impliquée dans le trafic de stupéfiants et le blanchiment de l'argent de la drogue 1. Mieux : elle abrite Khun Sa et Lo Hsing Han, deux trafiquants d'héroïne officiellement à la retraite. Ayant en réalité engagé leurs capitaux dans une collaboration étroite avec le régime militaire, ils sont sous le coup d’un mandat d'arrêt lancé par... Interpol. Comble de l'ironie, les rumeurs les plus folles courent sur les hôtels où résideront les conférenciers. Le secteur hôtelier de luxe n’est-il pas «un des principaux moyens de blanchissement de l’argent de la drogue en Birmanie»2

Blanc-seing aux généraux
La conférence va aussi redorer le blason de la “narcodictature” birmane. Elle risque de valider l'image anti-drogue que les militaires veulent se donner pour tenter de contourner les sanctions financières prises à leur encontre3

 

Pourtant, de sérieux doutes planent sur la volonté de Rangoon de stopper la culture de l'opium : depuis la reprise en main du pouvoir par les militaires en 1988, sa production a considérablement augmenté, atteignant 200 000 tonnes par an. Et le rôle des membres des forces armées dans ce trafic est avéré par de nombreux témoignages recueillis dans la région4.
De plus, la tenue de la conférence à Rangoon est un gage de respectabilité offert à un régime habitué à écraser dans le sang toute rébellion, et qui refuse toujours de reconnaître les résultats des élections de 1990. Un cadeau apprécié par les démocrates birmans.

No comment
Mais ils ne sont pas les seuls à grincer des dents. Déjà, certains gouvernements ont tenu à se démarquer de cette opération fumeuse : alors que la Hollande, le Danemark et la Norvège ont annoncé qu'ils n’y participeraient pas, la Belgique, elle, semble hésiter. Quant aux États-Unis, la tenue de la conférence «provoque la consternation de leurs services spécialisés dans la lutte contre le trafic de drogue»5. Face à ces défections, Interpol se drape pour l'instant dans le silence. Interrogé, le responsable de la communication, visiblement agacé, a déclaré qu'il n'avait aucun commentaire à faire.
Et la France dans tout ça ? Fidèle à sa politique vis-à-vis de la Birmanie, elle se distingue par un soutien sans faille aux militaires. Pour le moment, les autorités françaises n’ont pas  jugé utile de se prononcer sur la question. Pire, «les membres français du comité (comité d'Interpol chargé de l'organisation du sommet) auraient, semble-t-il, œuvré pour que la conférence se déroule à Rangoon». Après tout, la France n'est elle pas «le principal investisseur européen en Birmanie»6 ? Mais ça n'a sans doute rien à voir...

Mahadevi


1 Sur les milieux d'affaires français en Birmanie, lire Francis Christophe, Birmanie, la dictature du pavot, éd. Philippe Picquier, Paris, 1998. 
2 Le monde du renseignement, “Drogue : succès du lobbying birman à Interpol”.
3 Le FMI et la Banque Mondiale n'interviennent plus en Birmanie et certains pays ont pris des sanctions économiques contre les généraux de Rangoon .
4 Images Asia, All quiet on the western front ?, 1998 et Karen Human Rights Group, Report 98-07 “The situation arround Ho Mong”.
5 Francis Christophe, op. cit.
6 Ibid.


 
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