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L'accueil du Vrai Journal fut chaleureux : «Voici nos nouveaux amis de Télé Bocal». Trois mois plus tard, le divorce : la télé de quartier avait décidé de ne plus en faire ! |
Tout
commence en octobre 1998 lorsque l’animateur trublion Karl Zero, qui s’est
intronisé défenseur de l’un des derniers espaces de "liberté
totale” du PAF, convie Télé Bocal (télé
de proximité de l'Est parisien) dans les locaux de la Société
du Spectacle1.
Se trouve avec lui le très enthousiaste directeur général
Michel Malaussena. Le deal est simple alors : le Vrai Journal propose
à Télé Bocal une “fenêtre libre” de 3
mn chaque semaine, produite et montée par elle. Effet d’annonce
garanti, trop heureux d’obtenir une pleine page dans la rubrique médias
de Libération (27/10/98). Une première qui donne
des allures de grand seigneur à Malaussena : «Leur ton
colle tout à fait au Vrai Journal, c'est un peu une façon
de soutenir une télévision indépendante».
Le soutien est en effet de taille pour une télé sans thunes.
Avec 15 000F par sujet diffusé, la paye est bonne.
Les plates-bandes de l'actualité
En interne, cette belle image d’Epinal de Canal+ défendant les
pauvres et les orphelins se trouve vite écornée. Car la machine
Canal digère des talents, à la pelle. Ainsi, n'ayant pas
consenti de liens contractuels avec l'équipe réalisatrice
de la série Amour, Gloire et Débat d'idée,
Karl Zero s‘est retrouvé en slip, dépouillé par une
autre émission de sa propre chaîne, Nulle Part Ailleurs.
Echaudée par cette désagréable mésaventure,
«Malau»
réclame à Bocal la signature d'un contrat qui lui
assure l'exclusivité de leurs productions. Au sein du Vrai Journal
d’ailleurs, l’ambiance n’est pas non plus au beau fixe depuis l’épisode
de la suspension provisoire de l’émission par le CSA. Dans ce cadre,
l'intervention, même de 3 mn, d'un groupe extérieur à
la grande famille est vite remarquée. La première alerte
intervient au moment ou Bocal commence à fournir des sujets d'actualités
qui gênent la rédaction de CAPA, société de
production qui fournit la plupart des reportages d’infos du Vrai Journal.
Paul Moreira2,
qui sait marquer son territoire, impose que les reportages de Télé
Bocal soient siglés pour éviter toute confusion avec
ceux de CAPA. Maître Paul, par la concurrence agacé, leur
tint à peu près ce langage : «Vous êtes à
touche-touche avec des sujets journalistiques. Ne vous mêlez pas
d'actu, faites plutôt des sketches et des fictions (ce dont, d’après
Bocal, Karl Zero ne veut pas puisqu'il les produit). En gros, dans cette
émission (Le Vrai Journal), tu as beau être pote avec Karl
Zero, tu peux te retrouver out très vite si t'es pas pote avec la
rédaction (CAPA)». En effet, le seul journaliste du Vrai
Journal non estampillé CAPA est John Paul Lepers, considéré
par Moreira comme un bon réalisateur de micro-trottoirs. Car Moreira
croit être un incontournable journaliste d’investigation. Un des
résultats de son étonnant professionnalisme est le relais
du célèbre flop de «l'Encornet et Trottinette»
mettant en cause Léotard et Gaudin dans l'assassinat de Yann Piat.
Grâce à lui, Le Vrai Journal (07/06/98) sera la première
émission de télé à évoquer cette affaire
: «Aujourd'hui en France, des hommes politiques connus peuvent
commanditer la mort d'une députée. Ce n'est pas tout à
fait la France, c'est le Var» déclame-t-il.
Autre
accroc dans le contrat liant les deux structures : l’indépendance
rédactionnelle. Un micro-trottoir humoristique à propos de
Chevènement, présenté, pendant son coma, comme envoûté
par des sans-papiers mécontents, fait grincer les dents de l’ensemble
de la rédaction de CAPA... Jusqu’à l’impertinent John-Paul
Lepers (par ailleurs isolé) : «Pour continuer à
interviewer les politiques, il faut garder leur confiance et ne pas se
moquer d'eux». Pour CAPA, les jeux sont déjà faits
: «À Bocal vous ne filmez que des monstres».
La touche du pauvre !
Après quelques séances de lynchage en règle, la
fréquence des diffusions de Bocal s’espace. Et il devient
difficile de “faire avec leur méthode” : «Schwartzenberg
est un con, il ne mérite pas de passer au Vrai Journal, vous filmez
une expulsion mais vous ne dites pas pourquoi il est expulsé, c'est
peut-être un criminel, on ne peut pas montrer des noirs deux semaines
consécutives (...) ce sujet on pourrait le faire nous-même,
d'ailleurs on l'aurait mieux fait…». Méthode tellement
contestable qu’elle sera ensuite pillée sans remord par l’équipe
de CAPA à son bénéfice exclusif. Les sujets de Bocal
seront également remontés à la sauce maison, donnant
l’illusion de reportages basés sur une moquerie gratuite. La mission
devient petit à petit plus claire selon leur producteur émérite
: «pour passer à l'antenne le dimanche, il faut quelque
chose qui ait la pêche, des trucs super forts…» Après
leur avoir pourtant demandé de filmer des manifs à vélo
parce que «ça ne prête pas à conséquence»
et conseillé des sujets de reportage : «il neige partout,
y'a des mecs qui se gèlent les couilles, vous pouvez en trouver
qui sont très rigolos, qui ont de la distance, enfin des trucs comme
ça». Ce qui surnage finalement, ce sont les recommandations
à suivre pour intégrer la grande famille de l’impertinence
: «Faire un truc vachement bien avec des mecs qui parlent bien
et en même temps sans se la jouer super journalistique genre on va
vous expliquer pourquoi il y a des sans abris. Non ce qu'il faut c'est
un sujet à la Télébocal (…) avec sa spécificité.
Il faut que ça ne pose pas de problème aux différentes
parties qui réalisent le Vrai Journal. C'est le traitement qui est
important. Ce qui fait que cela est spécifique à vous, ce
côté , heu… c'est le peuple qui cause ! Mais j'ai vu apparaître
un côté vachement plus journalistique chez vous. En fait,
votre production est de plus en plus réfléchie… c'est la
confirmation de ce que l'on craignait». Le Vrai Journal
leur propose enfin de déléguer quelqu'un de chez eux afin
de visionner l'ensemble de leur stock de production vidéo pour d'éventuelles
sélections pour passage à l'antenne. «Jusqu'à
quand vont-ils nous presser le citron ?» se demande un peu ébahie
l’équipe de Bocal. Prenant les devants, cette dernière
décide de rompre le contrat malgré l’étonnement de
Michel Malaussena qui doit encore se demander comment va tourner le système
si la “relève” se met à cracher dans la soupe : «Il
y a 15 000 balles à gagner, quand même…»3
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